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[Critique] Mardi, après Noël (2010)

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Les films roumains on y va toujours un peu à reculons, sachant très bien à l’avance dans quoi on met les pieds: un cinéma traitant de sujets souvent (très) graves, à la mise en scène souvent (très) austère et toujours jusqu’au-boutiste dans l’entreprise. On a toujours en tête les traumatismes, à différents degrés, que furent 4 mois, 3 semaines, 2 joursKatalin Varga ou Policier, adjectif pour des exemples récents. Généralement on en ressort circonspect pour se rendre compte plus tard de la puissance dévastatrice des films dont le propos nous colle ensuite à la peau et au cerveau. Mardi, après Noël ne fait pas exception à la règle et s’avère être la nouvelle surprise venue de Roumanie, un des pays les plus en vue aujourd’hui pour les sélectionneurs de festivals. Statut plus que mérité tant le dépouillement apparent de ces oeuvres cache un profond désir de faire du grand cinéma marquant les esprits. Pourtant Mardi, après Noël , présent cette année à Cannes dans la sélection Un Certain Regard, se pose comme un film semblant plus appartenir à la nouvelle vague allemande qu’à ce nouveau cinéma émergeant et stigmatisant non sans talent un pays traumatisé par l’ère Ceauşescu, ce qui confirme la vitalité de son cinéma: il ne suit pas une seule direction. Pour son quatrième film, Radu Muntean filme la déliquescence d’un couple, un thème vu des milliers de fois mais qui se voit traité ici sous un angle inédit, de façon brute mais hypersensible.

mardi apres noel 1 [Critique] Mardi, après Noël (2010)

Il suffit d’une très longue scène d’introduction pour que Radu Muntean fasse le tri parmi les spectateurs réceptifs et hermétiques. Une caméra qui se fait invisible, un couple dans un lit, entre jeux câlins et discussions banales, l’impression de ne jamais saisir où cela va nous mener. Au fil des dialogues sont révélés au compte-gouttes les informations capitales concernant les personnages jusqu’à ce qu’on saisisse de quoi il s’agit: une banale histoire d’adultère. Présenté ainsi, difficile d’y porter un intérêt quelconque, le sujet ayant été traité depuis des décennies de cinéma. Pourtant il y a là quelque chose de magique. Une poignée d’acteurs, une caméra souvent immobile et des durées de plans qui frôle l’insupportable (jusqu’à 10 minutes de plan fixe ça peut agacer) apportent une personnalité inédite à l’oeuvre qui derrière son aspect fictionnel se rapproche d’un naturalisme rarement vu ailleurs que dans un documentaire.

Par ces choix de mise en scène assez extrême, Mardi, après Noël illustre le portrait d’un trio amoureux impossible. D’amour il en est question du début à la fin, car Paul, malgré sa relation passionnée avec Raluca, aime profondément sa femme et leur fille, cela se ressent sans le moindre doute. Pourtant au détour d’une scène formidable, par sa simplicité et son symbole, il va devoir faire un choix cornélien. On n’a jamais autant eu la sensation d’autant ne rien voir de cinématographique à l’écran mais paradoxalement tout fonctionne avec une justesse et un naturel qui en appelle au très grand cinéma. C’est excessivement austère, excessivement glacial, mais il y a toujours l’émotion qui pointe sans crier gare jusqu’à nous mettre un petit uppercut quand arrive le final, sans en avoir l’air. Tout dans Mardi, après Noël se joue dans la mesure, dans le tempo, dans cette vérité sur les relations humaines qui éclate sans prévenir. On en ressort un brin traumatisé car on pouvait s’attendre à une oeuvre pesante alors que c’est tout le contraire. Sans le moindre artifice, sans éclat, sans la moindre enveloppe scénaristique concrète, Radu Muntean nous touche au plus profond avec la grâce du naturel.

mardi apres noel 2 [Critique] Mardi, après Noël (2010)

Mardi, après Noël est construit presque entièrement à base de plans séquences qui s’étirent jusqu’au déraisonnable. Radu Muntean filme parfois ses acteurs au plus proche, n’hésitant pas parfois à les expulser du cadre comme pour souligner l’effet voyeur et intime de sa mise en scène. À vrai dire il y a de quoi surprendre car on s’éloigne dangereusement des canons du cinéma contemporain, mais le résultat est saisissant. Rarement on ne s’était sentis aussi près des personnages et cette tragédie classique qui se déroule là devant nous n’en est que plus immersive et nous prend donc aux tripes avec une facilité déconcertante. Il faut dire que le réalisateur est plutôt bien aidé par ses acteurs tous criants de réalisme, le trio Mimi Branescu, Mirela Oprisor et Maria Popistasu développant des nuances de jeu et de sentiments tout bonnement remarquables.

Un homme marié aime sa femme mais va la tromper avec une plus jeune. Sur un postulat traité des millions de fois, le roumain Radu Muntean développe une oeuvre à la sensibilité à fleur de peau. Au rythme des plans séquences interminables et des discours du quotidien, Mardi, après Noël révèle sa puissance dramatique de façon surprenante. Mis en forme de la façon la plus épurée qui soit, il s’en dégage un discours hautement humain, bouleversant, sur nos sentiments mis à nu et la cruauté qui peut naître de nos relations. On en ressort le coeur retourné sans trop savoir pourquoi, sans doute qu’on n’avait jamais reçu pareil discours, aussi juste, de manière aussi crue. Grand film, mais exigeant par la forme.


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